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Présente à Montreuil, j’ai vu à l’oeuvre ceux qui veulent interdire tout débat sur le voile

Présente à Montreuil, j’ai vu à l’oeuvre ceux qui veulent interdire tout débat sur le voile en France (RL 145)

mercredi 19 mai 2010, par Annie Sugier

Il serait faux de dire que tout avait bien commencé ce soir-là à Montreuil. Sur mes talons, alors que je venais de m’engager dans la rue Pépin qui monte vers le lieu du débat, j’ai entendu des voix excitées derrière moi, il s’agissait d’un groupe de voilées qui, je n’en ai pas douté un instant, se dirigeait vers le même lieu que moi. Je me suis dit qu’il y aurait sans doute de l’agitation. Et je n’ai pas été déçue.
Les organisatrices avaient collé des affichettes tout le long de la clôture qui nous séparait de l’ensemble scolaire, lieu de la rencontre. La salle de réunion, mobilisée pour le débat, se trouvait en contre bas de la rue et il nous fallait emprunter un escalier extérieur pour y accéder. Ce même escalier qui, quelques heures plus tard, allait être bloqué par la police appelée pour calmer un débat qui avait dérapé.
La salle ressemblait à n’importe quelle salle de classe ou d’éducation physique, des chaises avaient été disposées en cercle, sans estrade, histoire de ne pas séparer les intervenants « officiels » des participants lambda. Très vite, au fur et à mesure que la salle se remplissait, on a compris que l’assistance serait littéralement coupée en deux camps : les voilées et leurs accompagnateurs d’un côté, sur ma gauche, près des fenêtres, ils représenteraient un bon quart des participants, et de l’autre, tous ceux qui étaient venu là pour écouter et soutenir les organisatrices et les deux députés partisans d’une loi contre le voile intégral : Jean-Pierre Brard et Manuel Valls.
En fait il n’y eut pas de débat, puisque les agitateurs de service se mirent à parler haut et fort et à réclamer le micro dès les premières interventions de Sihem et des invité-es dont Loubna, la jeune soudanaise qui avait déjà témoigné à plusieurs réunions de
NPNS.Sihem Habchi.
Lorsqu’elle rappela sa condamnation au fouet pour port de pantalon, « alors que rien dans l’islam ne dit cela », elle déclencha immédiatement des hurlements de la part d’une voilée en blanc soutenue pas son fan club « En France, je te le dis, on n’est pas loin de cela ! ». Un fort en gueule, sans doute le leader du groupe, qui était débout derrière les voilées, et auquel le micro fût tendu, s’en empara avec délectation, jetant toute sa haine froide vis-à-vis de ces élus du peuple qui ne savent pas défendre la dignité des femmes dont les corps dénudés s’étalent sur les panneaux publicitaires. A Sihem qui osa parler des ces femmes qui en Algérie se sont battues pour ne pas porter le voile, les agités près de la fenêtre rétorquèrent qu’on n’était pas en Algérie ni en Iran ici, que ça n’avait rien à voir ! Le type qui tenait le micro se mit soudain a faire un discours sur ce que l’Islam avait apporté aux femmes, osant même parler de « l’héritage qui… ».
Là-dessus le brouhaha monta d’un cran, les gens se criaient à la figure par petits groupes des invectives, en cherchant au plus près celui ou celle qui n’était pas de son avis. Derrière moi, il y avait deux jeunes voilées « simples » qui se mirent à injurier une femme à côté de moi « t’es jalouse, par ce que t’es vieille, t’as le cou tout ridé ! », et l’autre de répondre « Quand vous aurez plus de 60 piges et que vous serez comme moi vous serez contentes ! ». Et l’une des filles de répliquer « Alors tu t’es fait tirer la figure ». Et la femme de rétorquer « Dites-donc il faut choisir ! ou vous me trouvez ridée ou alors tirée ! ». De mon côté je criai « Vous n’êtes que des femmes soumises ! ». Le visage déformé par la rage, la voilé me dit : « A quoi vous voyez ça ? ». « A votre voile » lui ai-je répondu en retournant m’asseoir.
Les micros, entre-temps étaient tombés en panne et l’on dût continuer en comptant sur le seul soutien de sa voix. Il eut un moment où les organisatrices réussirent à calmer le jeu, demandant le « respect ». Le député Brard se proposa pour coordonner les interventions. On crut alors que la rencontre allait enfin se dérouler plus normalement. J’ai profité de cette brève fenêtre de calme pour prendre la parole et affirmer que « Le voile est un symbole, celui de la ségrégation entre les hommes et les femmes. Il est une façon de dire que le corps des femmes est source de désordre dans l’espace public, on ne peut pas porter le voile et en nier le sens ! ». Je voyais, juste en face de moi, le regard haineux des voilées de service, à l’évidence, elles ne voulaient rien entendre de ces propos. Pour elles c’était un moment de grande jouissance, elles étaient au centre de l’intérêt de leurs accompagnateurs et n’en avaient strictement rien à faire de ce qui se disait. La voilée blanche prit un moment la parole tournoyant au milieu de la salle, et nous racontant son conte de fée, la conviction qui lui vient de se convertir, de se mettre le voile, le bonheur que ça représente, et « je n’ai ni père, ni frère, ni mari ». Et pendant ce temps, une autre voilée, une jeune femme d’origine africaine, qui elle a « choisi » le tissus noir, joue à se couvrir le visage, alors qu’elle est arrivée le visage découvert !
Bizarrement la rencontre marquait des temps de grand brouhaha, puis des temps de plus de calme. A l’évidence, c’étaient les élus du peuple qui étaient la cible principale des perturbateurs. Ils avaient trahi leur fonction ! Malgré leurs dénégations et celles de Sihem qui s’escrimaient à exonérer l’islam de l’obligation du port de la burka, et qui présentaient le projet de loi d’interdiction comme une défense des valeurs de la République et non une attaque contre une religion, les fauteurs de trouble n’en pensaient pas moins et le considéraient comme une nouvelle façon de frapper l’islam. Quant aux NPNS, elles étaient « vendues à la droite ». Ne parlons pas du président de la République dont la femme s’exhibait nue sur la toile. Autre cible, Elisabeth Badinter qui d’un côté parle de la dignité des femmes et de l’autre est à la tête d’une entreprise de communication qui utilise le corps des femmes.
Heureusement, ajouta le « leader » des pro-voiles, reprenant la parole, toutes les féministes ne sont pas comme celles qu’on entend ici, on en connaît d’autres qui savent où est le véritable droit des femmes, et de citer Christine Delphy. Comme par hasard, une tenante de cette ligne prit la parole pour abonder dans ce sens !
C’est sans doute à ce moment là que se produisit une sorte de bousculade, tout près de l’entrée, à l’intérieur de la salle. Une de ces bousculades dont vous comprenez immédiatement qu’elle est différente, bruyante et silencieuse à la fois, et cela vous dit que quelque chose de grave se passe. Je suis montée sur une table pour essayer de voir au-delà des personnes les plus proches de moi. Mais tout ce que j’ai aperçu c’est un type assez jeune très agité, que le groupe de provocateurs cherchait à calmer en le coinçant contre les fenêtres. Puis ils relâchaient la pression, pensant qu’il avait repris ses esprits, mais comme il n’en était rien et que le type en question se remettait à vouloir en venir aux mains, tout en hurlant « on ne peut tout le même pas tout laisser dire ! », alors le groupe le re-coinçait un peu plus loin, comme dans un slow inattendu, qui les faisait glisser vers le fond de la salle. Je n’ai rien vu de plus, je crois comprendre que quelqu’un a menacé de frapper une personne de l’assistance et qu’au moment où le coup partait, l’agresseur aurait été stoppé dans son geste violent par ceux qui étaient autour de lui. J’imagine que c’est le type en fureur que j’ai vu entouré par ceux qui, aprés l’avoir chauffé à blanc, tentaient de la maitriser !
Laissons maintenant la plume à l’AFP qui note : "Les organisateurs ont décidé d’arrêter le débat et fait appel aux forces de l’ordre. La police est arrivée peu après, bloquant les sorties, et demandant aux victimes de coups d’identifier leurs agresseurs qui ont réussi à s’échapper." Il est urgent qu’il y ait une loi très claire qui bannisse totalement les obscurantismes et protège les femmes", a réagi la présidente de Ni Putes Ni Soumises, Sihem Habchi. "Je pense que ceux qui avaient un doute avant le débat de ce soir ont compris, en sortant, la nécessité d’une loi qui dise stop à ceux qui instrumentalisent la religion musulmane et réduisent les femmes au silence", a-t-elle ajouté. Après avoir relevé que "le débat a dérapé, le député Manuel Valls (PS), partisan d’une loi d’interdiction générale du voile intégral, a déclaré qu’il sortait de la réunion "avec une conviction redoublée pour une loi à cause de ces comportements". "Je sens qu’on éprouve dans cette affaire la République et ses représentants et moi je ne me laisserai pas faire", a-t-il-il ajouté.
Drôle de soirée. J’ai lu de la tristesse dans le regard des deux députés. Le fait est que nous vivons une forme de guerre de religion. Et que toutes les nuances que les uns et les autres, - eux-mêmes d’ailleurs - avec sincérité ou hypocrisie essayent d’introduire, ne sont pas entendues par ceux qui ont intérêt à vouloir en découdre avec une République qu’ils pensent faible. Burka ou voile, espace public ou services publics, .., écrit ou non dans le coran, arrêtons de nous torturer les méninges et de faire des contorsions verbales pour tenir compte de ce que les ennemis des valeurs de la République disent ou pensent.
Nous avons aujourd’hui la preuve par l’absurde que la laïcité est toujours d’actualité et que tout cela nous aurait été épargné si dès le début la crise, la République s’était souvenu des termes de sa constitution.. Il nous faut cette loi sur la burka mais aussi une loi générale contre les signes religieux ostensibles dans l’espace public car les religions sont source de division et bien rarement d’amour et d’égalité.
Annie Sugier

LDIF, La Ligue du Droit International des Femmes
6 place Saint Germain des Près 75005 PARIS France