Le Monde publie deux articles importants
l'un est un entretien avec Elisabeth Badinter et l'autre traite de l'assistance médicale à la procréation (la gauche pour une nouvelle approche)
Assistance médicale à la procréation : la gauche pour une nouvelle approche
Le think tank Terra Nova propose de lever l'anonymat des donneurs de sperme et d'ovules
Comment penser la parenté dans un monde bouleversé, depuis une trentaine d'années par l'assistance médicale à la procréation (AMP) ? En faisant appel à des dons de sperme lors des inséminations artificielles ou à des dons d'ovules lors des fécondations in vitro, les nouvelles techniques médicales ont profondément modifié les figures traditionnelles de la parenté. A ces transformations de la filiation, se sont ajoutées de vives controverses sur l'homoparentalité, les couples de même sexe revendiquant le droit d'accéder, eux aussi, à l'aide à la procréation.
Chaque pays a répondu à sa manière à ces interrogations. La Suède, l'Autriche, les Pays-Bas ou encore la Belgique ont choisi de lever l'anonymat sur les donneurs de gamètes, faisant d'eux, non des parents, mais des " donneurs d'engendrement ", selon le mot de la sociologue Irène Théry. D'autres pays - la Belgique, le Danemark, l'Espagne ou les Pays-Bas - ont cessé de réserver l'assistance médicale à la procréation aux couples infertiles, ouvrant la porte aux " demandes sociales " des célibataires ou des couples homosexuels.
Chargée de préparer la révision des lois de bioéthique de 2010, la mission d'information de l'Assemblée nationale a exclu, en février, de s'engager dans de telles réformes. Au nom de l'intérêt de l'enfant, le rapporteur (UMP) Jean Leonetti a refusé de lever l'anonymat sur les dons de gamètes et d'élargir l'AMP à l'" infertilité sociale " - célibataires et couples homosexuels- : il propose au contraire de réaffirmer la finalité médicale de ces nouvelles techniques. Toujours au nom de l'intérêt de l'enfant, il s'est vivement opposé à l'autorisation des mères porteuses (gestation pour autrui).
Tout autres sont les positions exposées dans un document sur l'accès à la parenté rendu public, vendredi 12 février, par Terra Nova. Pendant un an, ce think tank proche du PS a réuni quinze personnalités sous la présidence de la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval et de la juriste Valérie Depadt-Sebag. Au terme de leur réflexion, ces spécialistes - anthropologues, sociologues, gynécologues, psychiatres - plaident en faveur d'une révision " progressiste " des lois de bioéthique.
Dans son avant-propos, le président de Terra Nova, Olivier Ferrand, propose d'organiser la réflexion autour d'un droit reconnu par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le " droit à fonder une famille ". " Ce droit s'inscrit dans l'intérêt de l'enfant. Il ne s'agit pas de donner libre cours à un désir superficiel et passager mais de faire droit à un projet parental, une décision profonde et souvent mûrie de longue date. N'est-il pas dès lors dans l'intérêt de l'enfant de naître dans une famille aimante, une famille dont il est le projet ? "
Terra Nova propose une nouvelle approche des familles issues de la procréation médicalement assistée. Actuellement, le droit efface à jamais toute trace des donneurs de sperme ou d'ovocytes, comme si les gamètes constituaient un simple matériel génétique dépourvu d'histoire et de nom. " Il apparaît pourtant souhaitable de reconnaître la pluralité des liens qui unissent l'enfant à ceux qui sont inscrits dans son histoire, soit parce qu'ils l'ont engendré, soit parce qu'ils ont assumé la charge de son éducation ", estime le rapport.
Afin de mettre fin à cette " déshumanisation " des donneurs, Terra Nova propose de créer pour les bébés issus de l'AMP un système de filiation inspiré de l'adoption : le don serait judiciarisé afin de l'inscrire officiellement dans l'histoire de l'enfant. S'il le souhaite, l'enfant pourrait ainsi connaître l'identité du donneur sans que celui-ci devienne pour autant son parent : les jeunes issus d'une AMP ne sont pas à la recherche d'un père ou d'une mère - ils en ont déjà - mais d'une " identité narrative ", précise le rapport.
Toujours au nom du " droit à fonder une famille ", Terra Nova propose de légaliser la gestation pour autrui, qui est autorisée en Grande-Bretagne, au Danemark, au Canada, en Australie, en Israël et dans certains Etats américains. Ecartant le spectre de la marchandisation du corps féminin - " la plupart des pays étrangers où elle a été légalisée ne révèlent aucune dérive mercantile ", note Olivier Ferrand -, le rapport propose une légalisation très encadrée de cette pratique millénaire : l'un des parents devra être le parent génétique de l'enfant, la mère porteuse devra être déjà mère et elle ne pourra pas fournir son ovocyte.
Enfin, et toujours au nom du droit à fonder une famille, Terra Nova se dit favorable à l'ouverture de l'adoption aux couples homosexuels. " L'enfant a besoin de deux parents afin que la triangulation psychique puisse se structurer, mais il n'est pas nécessaire que les deux parents soient un homme et une femme, estime Terra Nova. Le moment est donc venu, pour le législateur, de prendre en considération l'évolution des mentalités et des pratiques. "
Faut-il aller plus loin et autoriser les couples homosexuels à accéder à l'AMP - les couples de femmes pourraient ainsi avoir recours aux inséminations artificielles, les couples d'hommes à la gestation pour autrui ? Sur ce point, le groupe de travail de Terrra Nova est divisé : Valérie Depadt-Sebag, qui craint un véritable " bouleversement de notre organisation socio-familiale ", y est hostile. Geneviève Delaisi de Parseval, en revanche, y voit l'aboutissement logique des révolutions familiales de ces dernières années. " La société a changé, c'est un fait, mais est-ce la fin du monde pour autant ? ", conclut-elle.
Anne Chemin
Les socialistes sont plus divisés sur les mères porteuses
Afin de préparer la révision des lois de bioéthique de 2010, le Parti socialiste a mis en place au printemps 2009 un groupe de travail piloté par Najat Vallaud-Belkacem, secrétaire nationale aux questions de société, et Bertrand Monthubert, secrétaire nationale à la recherche. Le groupe, qui devrait bientôt transmettre ses conclusions au bureau national, souhaite que les couples de même sexe aient accès à l'adoption et à l'assistance médicale à la procréation. " Les modes de vie et de parentalité ont évolué, note Najat Vallaud-Belkacem. L'homoparentalité existe et les études démontrent qu'elle n'est pas préjudiciable au développement des enfants. "
Le groupe de travail est en revanche divisé sur les mères porteuses ou gestation pour autrui (GPA). Une proposition de loi autorisant la GPA a été déposée en janvier par la sénatrice (PS) Michèle André, qui avait présidé en 2008 un groupe de travail sénatorial demandant la légalisation encadrée de la gestation pour autrui.
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Philosophe et essayiste, Elisabeth Badinter publie " Le Conflit. La femme et la mère ", une étude sur la situation des femmes aujourd'hui, sommées d'être mères avant tout. Un ouvrage qui suscite déjà des polémiques
Il y a juste trente ans, en publiant " L'Amour en plus " (Flammarion), vous avez libéré les femmes de l'idée que, par instinct, elles devaient être mères, et bonnes mères. N'est-ce pas en train de redevenir une obligation ?
Je le redoute. C'est pour cela que j'ai voulu faire un bilan. Depuis une dizaine d'années au moins, je trouve que la situation régresse. Mais la décision d'écrire ce livre, Le Conflit (Flammarion, 270 p., 18 euros), m'est venue en écoutant un flash d'information à la radio, en 1998.
Le ministre de la santé de l'époque, Bernard Kouchner, venait de signer un décret, qui, en conformité avec les directives européennes, interdisait la publicité pour les laits en poudre dans les maternités publiques, ainsi que le don de ces laits. Ce qui signifiait que les mères ne voulant pas allaiter devaient payer leur lait en poudre.
Ce minuscule fait m'a semblé symbolique d'un vrai changement à l'égard de la maternité. Il fallait à tout prix encourager, voire forcer moralement les femmes à allaiter. Je me suis intéressée de près à toute la marche qui mène de 1980, où les femmes font absolument ce qu'elles veulent, à aujourd'hui, où l'objectif du ministère de la santé est, qu'en 2010, 70 % des femmes qui accouchent allaitent en maternité.
Grâce à cette politique de pression, de culpabilisation même, le nombre de femmes qui allaitent en clinique augmente de 2 % chaque année. A travers cette pratique qui pourrait paraître anodine, j'ai constaté un renversement de valeurs, quelque chose qui menaçait la liberté des femmes. J'ai voulu voir de près quels étaient les dangers de tout cela.
Vous dites " on est passé de moi d'abord à l'enfant d'abord ".
Les années 1970-1980 sont des années de conquête. Il y a alors un mouvement féministe assez uni et assez puissant, qui se fait entendre. Les femmes ont des ambitions personnelles, qu'elles n'entendent pas sacrifier entièrement au désir d'avoir des enfants. Elles ne sont pas décidées à céder sur l'un ou l'autre terrain.
Dans certains livres de l'époque, j'avais été frappée de la façon très libre dont des femmes anonymes clamaient leur ambivalence à l'égard de la maternité et leur ras-le-bol du modèle de la mère parfaite. Cette liberté s'est peu à peu éteinte. On en est venu à " l'enfant d'abord " : quand on fait un enfant, on lui doit tout.
Vous démontrez que sont suspectes les femmes qui veulent un enfant à tout prix et celles qui refusent la maternité.
On continue à être mû par l'idée qu'il est naturel de faire un enfant. Et que cela doit le rester. On doit faire des enfants.
Quand une femme qui a un problème physiologique veut absolument un enfant, on lui explique qu'il faut faire de nécessité vertu, que la nature l'empêche de procréer et qu'elle doit apprendre à en faire son deuil, à accepter.
D'un autre côté, quand une femme, à 35 ans, n'a pas d'enfant, on se demande ce qui lui arrive. La psychanalyse fournit tout un tas de clichés sur le sujet. Il y a, dans la société, une tendance à considérer comme anormales les femmes qui ne veulent pas d'enfant, à supposer par exemple qu'elles ont eu une enfance minée. Comme si celles qui font des enfants avaient toutes eu une enfance magnifique. Les femmes qui peuvent avoir des enfants et n'en veulent pas sont suspectes. Elles sont l'objet de pressions amicales, dont souvent celles de leurs parents qui " voudraient bien un petit-enfant ".
Je pense que les femmes qui décident de ne pas avoir d'enfant réfléchissent plus à la question que celles qui font des enfants sans se demander pourquoi. On devrait leur en être reconnaissant. Je ne dis pas que ces choix sont purement rationnels. C'est très complexe. Mais je combats toutes les explications qui sont directement ou indirectement issues d'une problématique naturaliste.
" Le Conflit " suscite des polémiques. On considère ce livre comme un pamphlet, alors que vous vous appuyez sur des études, des statistiques. Et on vous traite d'" archéoféministe ".
Cela me fait sourire. C'est une attaque ad hominem qui se veut efficace car dans une société ou le mot féministe est déjà presque une insulte, une femme archéoféministe... c'est une superringarde. La pire des insultes ! J'attends plutôt des arguments, je pense qu'il y en aura.
Face à votre dénonciation de l'offensive naturaliste, on estime que vous rendez l'écologie responsable de la régression que vous dénoncez.
Je ne dis pas que c'est l'écologie seule. C'est un ensemble de mouvements de pensée, dont l'écologie radicale fait partie. J'estime que lorsque madame Nathalie Kosciusko-Morizet, quand elle était secrétaire d'Etat chargée de l'écologie et madame Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts en arrivent à dire aux femmes que les couches lavables sont très bien, là on est dans l'écologie radicale. Je ne nie pas les problèmes de pollution posés par les couches jetables, mais ces femmes devraient plaider pour qu'on produise des couches biodégradables.
Et quand j'entends madame Duflot dire que les hommes laveront les couches, je me demande dans quel monde elle vit. C'est une jeune femme, et elle fait de la politique, donc elle devrait savoir que l'étude de l'Institut national d'études démographiques (INED), " Population et société ", de novembre 2009, a montré, sans discussion possible, qu'en France, à chaque fois qu'elle a un enfant supplémentaire, la femme travaille plus à la maison, et qu'elle assume toujours entre 80 à 90 % des charges. Ce ne sont pas les hommes en rentrant du travail qui vont aller mettre ces couches souillées dans la machine à laver - qui dépense de l'énergie... Quelle inconscience à l'égard des tâches qui pèsent sur les femmes !
Les jeunes femmes ont-elles conscience qu'on les renvoie au discours de leurs arrière-grands-mères : " une femme n'est pas complète si elle n'a pas d'enfant " ?
Celles que je vois en sont parfaitement conscientes et protestent. D'autres trouvent cela légitime. Ce que je veux montrer, c'est qu'on est à la croisée des chemins. Eliette Abécassis, dont je ne partage pas l'approche de la maternité, dit une chose juste : il y a deux sortes de femmes, celles qui aiment à se retrouver en femelles mammifères, et celles qui détestent cela, ne veulent pas en entendre parler.
Je lutte pour qu'on cesse d'avoir une idée unique de la gent féminine, comme si on était un troupeau. On a des désirs, un inconscient, une histoire différente. Si l'on accepte ce discours naturaliste, tel celui de La Leche League - association pour la promotion de l'allaitement - , alors toute femme doit allaiter, et y trouver sa jouissance. Aucune excuse n'est recevable pour ne pas le faire. C'est la fin de la liberté de choix, mais aussi celle de la lutte contre l'inégalité des sexes.
On vous reproche aussi d'être dans le déni de la maternité, comme l'aurait été Simone de Beauvoir, qui n'avait pas d'enfant. Or vous en avez eu trois.
Je ne suis pas dans le déni de maternité, je suis dans le déni de l'instinct maternel. J'ai eu trois enfants, mais ce n'est pas mon problème personnel que j'évoque.
Finalement, cette alternance entre périodes de conquête et périodes de régression , n'est-elle pas une constante dans l'histoire des femmes ?
On pourrait étendre la question et se demander si ce n'est pas une constante de l'histoire des sociétés. Au-delà du problème des femmes, la société actuelle est très régressive. On est dans une mouvance d'angoisse, on met en avant le principe de précaution, on a peur de tout, on est dans des positions de repli.
Quant au féminisme, il est vraiment coupé en deux, et depuis les années 1980, le féminisme naturaliste, différentialiste, victimaire, s'est peu à peu imposé à la société occidentale. Le thème de l'indépendance économique des femmes n'est plus tenu. Et le féminisme de conquête, celui qui défend l'égalité, est en sommeil.
Propos recueillis par Josyane Savigneau
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